Les lumières blanches défilèrent inlassablement. Flou, lointaines, il avait l'impression d'être au bord d'une voie rapide, les phares l'éblouissant avant de disparaître dans la nuit. Sa respiration était bruyante, comme coincée au tréfonds de sa gorge. Ses poumons se gonflaient douloureusement, s'il en avait eu la force, il se serait tordu sous la souffrance qui envahissait son corps par vagues. Sa bouche était entre ouverte, sa tête ballotant de droite à gauche à chaque virage. Il ignorait la quantité de sang qu'il avait perdu jusque là, il ne se rappelait même pas des coups qu'il avait pris. Il se souvenait juste du visage de Meave, de ses pleurs, de ses cris, de ses petites mains qui l'avaient saisi pour le protéger d'elle. Il se rappelait de sa poigne, de sa peau de métal, mais n'arrivait plus à mettre en ordre le reste des évènements. "Meave..." Il murmurait, les larmes coulant le long de ses joues, créant des sillons dans le sang presque sec. Son visage se crispa, son corps se cambra, il convulsa jusqu'à se que le sombre l'emporte.

"On ne peut pas se permettre de perdre notre partenaire commercial." Une voix, ferme, sûre, celle de son père. "Elle la démolit! Regarde son état!" Son frère aîné faisait les cent pas. "Tu peux pas dire ça putain, tu peux pas!" Il entendait le claquement du respirateur, le clapotis de cette solution qu'on lui injectait dans les veines, le bip régulier de son cœur.  Il reprenait lentement conscience, sentant un poids dans sa gorge, quelque chose qui lui donnait envie de vomir. Il se courba violemment, les yeux exorbités, tentant d'éjecter ce tuyau censé l'aider à respirer. Rapidement, les I.A s'activèrent autour de lui, le plaquant pour le lui ôter, jusqu'à faire entrer seul l'air dans ses poumons dans une inspiration douloureuse. Kody se précipita près de lui, posant l'une de ses mains sur son épaule. "Eh frangin, reste tranquille. Ça va maintenant..." Lëan avait la bouche sèche, pâteuse, il tenta de murmurer quelque chose, mais n'y parvint pas. "Une enquête va être ouverte, Lëan. je te promets qu'on va..." "Non." la voix de son père raisonna dans la pièce. Il attrapa fermement les barreaux aux pieds de son lit. "Si on fait ça, on coulera tous les deux. Ton entreprise, et la mienne." Il passa une main sur son visage. "Docherty est un partenaire prioritaire, s'ils sortent, on est mort. Tu m'entends !? On est mort tous les deux!" Kody explosa. "Putain, mais tu t'entends parler ?!" Il se pointa devant son père, le saisissant par le col. "Tu sais depuis combien de temps sa dure ? Tu sais le nombre de fois où elle l'a brisé ?" Il le relâcha, le poussant. "Tu vas la laisser le tuer parce que tu ne veux pas perdre de fric ?! Regarde le putain, regarde-le!" Leur père réajusta ses habits, dédaigneux. "Tous ce que je vois c'est un homme incapable de se défendre." Kody fulminait, prêt à écraser son père sous ses poings. "Kody..." Lëan toussa, et il se précipita près de lui pour le faire boire. Il ne pouvait pas bouger, sa nuque était enserrée, brisée. Ses côtés fendus, ses avant-bras cassés. "Laisse-nous. Deux minutes." Il reprenait peu à peu le contrôle de la parole. Petit à petit, il sentait la douleur monter, au fur et à mesure que les antidouleurs disparaissaient. Kody baissa la tête, il connaissait parfaitement bien son frère. Il sortit sans un mot. Il porta son regard sur Kaleb Vandorallen, son géniteur. "Tu as déjà intercepté le rapport d'incidence ?" "À ton avis..." Lëan sourit. "Ton frère est allé voir les flics. Il leur a dit que cela faisait déjà des mois que..." "Des années." rectifia-t-il en grimaçant de douleur. "Mais tu le sais déjà, n'est-ce pas ?" Il ne répondit pas. "J'ai fait disparaître sa plainte." Lëan sourit de plus belle, dans un rire nerveux qui le fit souffrir. "Sans blague..." "c'est pas franchement le moment de rire." Il saisit les barreaux, se rapprochant de son fils. "T'as mis trop de temps à créer ton entreprise, spécialement pour me faire chier. Si tu comptais l'arrêter, tu l'aurais déjà fait. T'es pas assez con pour te laisser bouffer gratuitement." "Vraiment ? Et qu'ait ce que t'en sais hein ? Ne viens pas jouer les pères qui pensent tout savoir de son fils." Il se recula, s'avançant vers la sortie. "Aucun putain de flics ne prendra tes plaintes. Ni les tiennes, ni aucune en rapport avec Docherty."Lëan serra des mâchoires. "Je te détruirais. Je te promets que je te mettrais à genoux." Il lui tourna le dos, provocant. "Je n'ai rien à craindre d'un gamin dans un lit d'hôpital."

Kody entra dans la pièce, regardant longuement le visage tuméfié de son frère. Il rapprocha une chaise de son lit. "Meave, dit-moi..." "Je suis désolé... j'ai essayé qu'elle ne l'ait pas, mais... les flics, ils m'ont envoyé chier. Ils voulaient rien savoir. Je n’avais rien pour l'éloigner d'elle..." Il posa sa main sur son épaule, tendis que Lëan tenait de contenir ses larmes en se mordant l'intérieur des joues. Il sentait la brûlure de la tristesse, de la colère et de l'injustice lui bloquer la gorge. "J'ai combien de temps avant de sortir ?" "Avec la chirurgie I.A et ton argent pour pousser le processus ? Deux mois au moins..." "Je peux pas Kody, je peux pas..." "J'irai voir Meave, Lëan. Je te promets, je ferai tout pour qu'elles restent avec Raphaël, avec mes gosses." Il posa son front sur lui. "Putain... quel enfoiré de merde... il a tout bloqué, n'est-ce pas ? T'as pas le choix que d'accepter de ne rien dire et de jouer à son jeu ?" "Non, j'ai pas le choix. Pour le moment." Kody releva la tête. "T'as un plan ?" Lëan ne répondit pas. "Fait pas de conneries Lëan... Réfléchis bien à ce que tu fais. Meave, elle pourrait se retrouver entièrement à sa merci si tu merdes." "Tu crois que je ne le sais pas ?" Il serra davantage des mâchoires. "Putain, elle a quatre ans! Elle a quatre ans et c'est elle qui s'est interposée Kody! Elle a quatre ans et elle a essayé de l'arrêter!" "Arrête, calme-toi." Le bip s'intensifia. "Je me suis pétrifié! Je l'ai laissé faire comme si c'était ma putain de destinée!" Il serra des poings, ignorant la douleur. "Tu vas te faire mal Lëan, calme-toi!" "Je veux qu'elle crève, je veux la voir crever! je te promets que je la crèverai comme un..." "ARRÊTE!" Il respira bruyamment, maintenant son frère par les épaules en essayant de ne pas lui faire mal. "Arrête de te faire du mal. T'es quelqu'un d'intelligent Lëan, utilises ta putain de tête ! Si tu veux qu'elle crève, fais le bien." Lëan sourit en appuyant sur le bouton des antidouleurs. Oui, il l'a tuerait et il le ferait bien. La douleur s'évanouit, tout comme ses angoisses, ses craintes, ses putains de remise en question qui le démolissait de l'intérieur. Il sentit une nouvelle fois la main de son frère et, pour la première fois depuis longtemps, il se sentait bien.